14 juin 2005

Report des poids-lourds, manif de Fegersheim

par Jacques Fernique


D’abord il faut quand même dire un mot sur l’absence d’anticipation. Fallait-il donc être des surdoués de la clairvoyance pour deviner que la nouvelle politique allemande de régulation des poids lourds annoncée de longue date et longtemps reportée allait avoir quelques conséquences de ce côté-ci du Rhin ? Fallait-il donc attendre le 1er janvier 2005 pour s’en rendre subitement compte ? Non, assurément non : l’Alsace aujourd’hui constate et déplore les dégâts sur ses routes, mais c’est à Paris, c’est à Strasbourg qu’on a choisi sciemment de ne pas anticiper, qu’on a choisi une fois de plus de ne pas heurter le lobby du transport routier et les schémas paresseux du passé. Alors que nos voisins allemands et suisses ont su engager une vraie politique pour des transports écologiquement responsables, avec leur taxe, avec leur efficace Redevance Poids Lourds liées aux Prestations, alors que le principe utilisateur-payeur marque des points en Allemagne et en Suisse et permet au rail et au fluvial de regagner du terrain, notre pays et nos grandes collectivités locales n’ont pas su, n’ont pas voulu s’inscrire dans cette démarche, ont au contraire donné encore et toujours le signal que l’axe Nord-Sud alsacien restait grand ouvert au flot des camions et même qu’à terme on continuerait à leur ouvrir de nouveaux espaces, de nouvelles facilités routières et autoroutières : projets de rocades, de contournement autoroutier : tout se passe comme si l’Alsace acceptait ce partage interrégional : en Suisse et en Allemagne les marchandises plutôt sur le rail, en Alsace les marchandises sur les routes. Ce saccage programmée de notre Région est inacceptable. C’est l’ensemble du Rhin Supérieur qui a besoin d’un transfert massif du fret vers le rail et les alternatives à la route ! Les enjeux en terme de santé publique sont importants et encore trop méconnus. Sait-on qu’aujourd’hui les pots d’échappements tuent davantage que les accidents ? Sait-on que l’Agence française de Sécurité sanitaire environnementale estime à 900 000 euros le coût de chaque décès lié à la pollution atmosphérique ? Dans ces conditions, je pense que même ceux dont la seule boussole est le développement économique peuvent admettre que la fuite en avant routière mérite une remise en question.



Depuis le 1er janvier, l’ambiance a bien changé, le flot supplémentaire des camions avec le report de trafic consécutif à la taxe allemande, a amené les partisans inconditionnels du fret par camion et des projets routiers à faire profil bas. Certains ont bien essayé de laisser entendre que le seul problème c’était la taxe allemande et qu’il suffisait donc de la supprimer pour régler la question : l’opinion publique ne les a pas suivi : les collectivités et les autorités en charge de l’intérêt général ne peuvent se ranger à cette revendication catégorielle : que rien ne change et que le Rhin Supérieur s’engorge définitivement ça ne peut pas être une ligne de conduite responsable !
Aujourd’hui nous avons la chance historique de pouvoir convaincre et de faire basculer les décisions. Au Conseil Régional on arrive maintenant à obtenir l’unanimité sur des positions, des déclarations d’intention dont le Vert que je suis ne peut que se féliciter. C’était inimaginable encore l’an dernier. Tout le monde convient qu’il faut des mesures d’urgence pour tenter de réguler ce flot de poids lourds, tout le monde convient à peu près qu’il faut rendre notre axe nord-sud moins attractif au transit.
Votre manifestation n’est certes pas inutile : car il en faudra du courage aux élus pour renverser les tendances lourdes de notre politique des transports. Le Rhin Supérieur ne sortira de l’engorgement que si l’Alsace harmonise sa politique du fret avec les Suisses et les Allemands. Il n’est donc pas question de quémander à ceux-ci le retour de la gratuité sur leur autoroute, mais au contraire d’obtenir nous aussi les outils pour taxer et réduire le transit des camions, d’obtenir surtout des investissements à la hauteur en faveur des alternatives comme le rail. Ce ne sera pas facile, ce n’est pas gagné, et on le sait bien ici à Fegersheim et à Lipsheim qu’il y a loin du constat du problème, de la mesure de l’insupportable à la réalité des réalisations, des réponses adaptés. La RN83 saturée, ce secteur invivable ne date pas du 1er janvier 2005. Alors, pour que notre Alsace ne devienne pas définitivement un couloir à camions, il en faudra encore plus et sans relâche de la mobilisation populaire.

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