02 mai 2005

Le dilemme des pôles de compétitivité

Par Philippe Carbiener

A l’aube du 21ème siècle, l’automobile et les biotechnologies seraient les deux mamelles de l’Alsace ! Cela vous paraît totalement incongru, mais c’est pourtant bien ces deux projets que la Région Alsace a décidé de défendre auprès du gouvernement pour obtenir ce précieux label « Pôle de Compétitivité » (P de C).
Les P de C doivent, selon l’idée du gouvernement, fédérer les acteurs du monde de la recherche et de l’industrie qui, au niveau d’un domaine économique, peuvent faire preuve d’excellence sur un territoire.
Valoriser l’existant
Voici, qu’après des décennies de détricotage de toute politique industrielle, on en réinvente dans l’urgence l’intérêt en conviant les régions à une mise en concurrence improvisée. Il ne s’agit donc pas d’un exercice prospectif et la collectivité ne peut que valoriser ce qui existe déjà. Avec un tel principe de réalité, qui s’impose à elle, on ne peut pas lui reprocher de défendre ce qu’elle parvient à trouver dans son tissu d’activités.
Il paraît alors difficile de s’opposer franchement au P de C automobile qui représente 90.000 emplois et dit mettre l’accent sur l’économie des matières premières et la « propreté ». L’enjeu n’est alors pas d’être pour ou contre ce produit de consommation, mais de savoir si on préfère le voir être conçu et manufacturé ici, ou ailleurs, dans des pays à bas coûts.
Au hasard des biotechs
En revanche, le pôle « innovations thérapeutiques » pose bien davantage de questions. Il englobe à la fois l’imagerie médicale et les biotechnologies. Si l’imagerie médicale est peu contestable, on ne voit néanmoins pas de liens convaincants avec les biotechnologies. Même dans le seul domaine médical, celles-ci sont pour le moment bien loin de tenir leurs promesses et il paraît de moins en moins exclu qu’elles ne les tiennent jamais. Le postulat de départ d’un pan de ces recherches, présenté par ses promoteurs, à savoir, un gène lié à une maladie, une molécule ou un procédé agissant sur ce gène, n’a tout simplement plus aucun fondement à la lumière des dernières découvertes scientifiques dans le domaine. Il est patent de constater qu’en Alsace, les fonds privés s’en détournent et que seuls les financements publics en assurent encore la pérennité.
D’ailleurs si les P de C ne se conçoivent pas sans partenariats industriels forts, ceux-ci n’apparaissent pas dans ce projet. Il y a précisément de quoi douter des biotechnologies, lorsque l’on mesure ce non engagement alors que la Région du Rhin Supérieur est riche en groupes industriels pharmaceutiques aux trésoreries florissantes et en mal de nouvelles molécules.
L’improbable couplage de ces incertitudes avec l’activité imagerie médicale confère à l’ensemble de ce projet de P de C l’aspect d’un bricolage peu crédible. Sous cet angle, à défaut de permettre ultérieurement des affectations plus pertinentes, l’injection de 18 millions d’Euros de subventions régionales sur 5 ans dans ce secteur fait craindre une fragilisation de notre tissu économique à terme.
Parce-que dans l’urgence il convenait de conforter les activités existantes, les Elus Verts du Conseil Régional se sont contentés d’émettre de fortes réserves sur ce 2ème pôle et de s’abstenir sur la délibération globale proposée par Adrien Zeller.
Elaborer un avenir plus solide
Ces deux projets ne font rien moins que de révéler l’extraordinaire fragilité structurelle du tissu d’activités alsacien. Mais cette fragilité doit précisément nous inciter à préparer sans délais un avenir plus réaliste ancré dans les défis du développement durable et en premier lieu la question de l’énergie si riche en perspectives de recherche/développement pour qui saura les entrevoir à temps. Dans l’immédiat cet exercice des pôles de compétitivité aurait pu être l’occasion, pour une autre majorité, de s’attacher à concevoir la constitution d’une fédération des 40 éco-entreprises déjà recensées en Alsace...